Le Mouvement Mondial pour une Culture de la Paix et de la Non-Violence : un grand potentiel ?

Par David Adams et Kiki Chauvin

Non-Violence Actualité, No. 285,March-April, 2006.

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Le Mouvement Mondial pour une Culture de la Paix et de la Non-Violence : un grand potentiel ?

Le Mouvement Mondial pour une Culture de la Paix a été lancé en 2000, pendant l'Année internationale de la Culture de la Paix (voir l’article dans ‘’ Non-violence Actualité ‘’ par David Adams).

L'Unesco, chargé par l'Assemblée générale des Nations Unis de la coordination de l’Année, a mobilisé des milliers d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, dans une campagne de sensibilisation centrée sur le Manifeste 2000.

  Plus de 75 millions de personnes ont, à travers le monde, signé le Manifeste, prenant l'engagement dans leur vie quotidienne, leur famille, leur travail, leur communauté, leur région et leur pays, de ‘’cultiver’’ les six principes définis dans la Culture de la Paix, qui sont :

-Respecter toutes les vies,
-Rejeter la violence,
-Libérer la générosité,
-Ecouter pour se comprendre,
-Préserver la planète
-Réinventer la solidarité.

Suite au succès mondiale du Manifeste, l’ONU a voté une résolution qui prolonge de 10 ans cette mission devenue ‘’Décennie Internationale pour la Promotion d’une Culture de la Non Violence et de la Paix au Profit des Enfants du Monde (2001-2010) ‘’ C’est la première fois dans son histoire que l'ONU reconnaît formellement et adopte la méthodologie de la non-violence (ceci grâce aux efforts de Pierre Marchand et des lauréats du Prix Nobel de la Paix qu'il a mobilisé)

C’est un immense projet qui soulève quelques questions :

-La Culture de la Non Violence et de la Paix est-elle maintenant entrée à l’ONU ? A l’Unesco ?

-La mobilisation internationale est-elle suffisante pour qu’ il y ait un résultat en 2010, notamment en matière d’éducation à la non- violence et à la paix ? -Quels objectifs espère t-on atteindre au cours de cette Décennie?

La transition de la culture de la guerre et de la violence vers une Culture de la Paix et de la Non-Violence demanderait de profonds changements politiques et économiques, les pays ayant été dominés par la culture de la guerre tout au long de l'histoire.

 Conscients que les Etats, tout comme l'ONU, ne sont pas prêts à de tels changements, nous avons proposé d'impliquer la société civile dans un Mouvement Mondial. Cette suggestion a été adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution A/53/243 :

"La société civile doit participer aux niveaux local, régional et national pour élargir la portée des activités au sujet d’une Culture de la Paix ... Les partenariats entre les diffèrent acteurs visés par la Déclaration doivent être encouragés et renforcés pour un Mouvement Mondial en faveur d'une Culture de la Paix.  Une Culture de la Paix pourrait être favorisée par un partage de l'information entre les acteurs au sujet de leurs initiatives à cet égard"

C’est surtout au niveau de la société civile et du partage de l’information que nous avons de grands espoirs pour le succès de la Décennie. Travaillant avec la <>, présidé par Federico Mayor, ancien Directeur-général de l'Unesco, nous avons lancé une campagne pour l’élaboration d’un Rapport mondial de la Société Civile sur la Culture de la Paix. Ce rapport, abouti avant la fin 2005, a fait le point à mi-parcours de la décennie en répondant à une invitation contenue dans la résolution annuelle de l'ONU : Sept cents organisations de plus de 100 pays y ont contribué, et 3,000 pages de textes et photos sont disponibles sur le site : http://www.decade-culture-of-peace.org.

Les résultats sont encourageants, ils donnent l’estimation de la mesure du progrès vers une Culture de la Paix, les obstacles rencontrés, le travail fourni sur le terrain et avec les différents partenaires ainsi qu’un ensemble des avis sur le travail de l’ONU. Selon ces organismes, le Mouvement Mondial pour une Culture de la Paix avance. Son progrès est d’autant plus remarquable que les médias ne s’y sont pas intéressés, restant très souvent muets sur le sujet. L’ONU ( et l'Unesco, dans les dernières années) sont également cités pour leur manque de soutien.

Cependant, les contradictions sont apparues au fur et à mesure de l’avancée du travail de compilation. En surface, tout le monde dit être pour la paix et pour la Culture de la Paix ; mais quand les exigences se précisent, nous nous apercevons que ce n’est pas si simple !

Les contradictions sont évidentes depuis 1992, quand le programme de la Culture de la Paix a été proposé comme contribution de l'UNESCO aux opérations de maintien de la paix de l'ONU.  Le bloc soviétique venait de s’écrouler permettant pour la première fois une liberté d’action au Conseil de Sécurité. Celui-ci a saisi cette occasion en lançant non seulement les opérations de maintien de la paix au Cambodge, au Salvador et au Mozambique, mais en lançant aussi la Guerre du Golfe !  Peut-on penser que l'Ouest (l’Europe, les États-Unis et leurs alliés) puisse utiliser l'ONU comme sa propre police contre n'importe quel pays de la planète ?  

Le seul contrepoids était alors le bloc des pays non-alignés (aujourd'hui "Groupe des 77" composé de plus d'une centaine de pays membres). Les pays non-alignés, surtout ceux d'Amérique Latine, ont soutenu la Culture de la Paix à l'UNESCO comme une alternative non-violente pour le maintien de la paix, avec l'accord des européens.  Les Américains et le Royaume Uni étaient absents, s’étant retirés de l'UNESCO en 1987 pendant la guerre froide. 

  En 1995, avec la résolution A/RES/50/173, l'Assemblée générale de l'ONU soutient le programme, mais les positions de l'Europe, des États-Unis et de leurs alliés restent ambiguës, surtout après que l'UNESCO ait ajouté une analyse de la culture de la guerre et de la violence et demandé son remplacement par une Culture de la Paix et de la Non-Violence. A l'UNESCO, les Européens n'ont pas financé les projets nationaux pour la culture de la paix, à l'exception d'un seul projet au Salvador, d’ailleurs financé par l'Allemagne.  Quand l'Assemblée générale de l'ONU a demandé à l'UNESCO une Déclaration et un Programme d'Action pour la Culture de la Paix, les Européens et les Américains ont tout fait pour le bloquer !  Quand ce n'était pas possible de le bloquer, ils ont supprimé la possibilité d'un fond pour les activités en faveur d'une Culture de la Paix.  Quant aux résolutions annuelles, les Américains n'ont jamais accordé leur appui, et les Européens ont cessé le leur après 1998.  En conséquence, convaincre les Européens de revenir soutenir ces résolutions est un défi important pour les années à venir.

Depuis la fin du mandat du Directeur-général Federico Mayor en 1999, l’UNESCO malgré sa charge de la Décennie selon les résolutions de l'ONU, n'a pas persisté dans son élan, et aujourd’hui, fait peu pour la Culture de la Paix.   

A l'ONU les pays du Sud restent forts dans leur appui.  Les résolutions annuelles continuent, même s'il n'y a pas de budget et par conséquent pas de fonctionnaires pour la Culture de la Paix. Grâce aux efforts des pays du Sud, le document du ‘’Sommet’’, adopté par les chefs d'Etats à l'ONU en septembre 2005, dit dans son paragraphe 144 :

"Nous réaffirmons la Déclaration et le Programme d'action en faveur d'une Culture de Paix, ainsi que le Programme mondial pour le dialogue entre les civilisations... Nous nous engageons à prendre des mesures propres à promouvoir une Culture de la Paix et un dialogue aux niveaux local, national, régional et international, et nous prions le Secrétaire général de réfléchir aux moyens de renforcer les mécanismes d'application et de donner suite à ces mesures...”
La société civile doit se joindre aux pays membres et demander que le Secrétariat de l’ONU donne corps à cette demande de "renforcer les mécanismes d'application" de la Culture de la Paix.  Sinon, nous courrons le risque que le Secrétariat continue d'ignorer la Culture de la Paix ! En même temps, il faut insister auprès de l'UNESCO afin que l'organisation revienne au mandat de sa Constitution qui est : ‘’D'élever les défenses de la paix dans l'esprit des Hommes ", dont la Culture de la Paix est le projet contemporain.  

Le rapport de la société civile de 2005 montre qu'il y a du progrès, mais sera-t-il suffisant pour qu'en 2010 il y ait un résultat ?  Ce n'est pas acquis.  

Pour être suffisamment fort, le Mouvement Mondial de la Culture de la Paix doit :

1-Renforcer les rapports et les interactions entre tous les acteurs du Mouvement, :
- les ONGs,
- les écoles et les universités,
- les villes,
- les associations,
- les mouvements citoyens, et bien sûr,
- les états et l'ONU. 

A cet égard, la France est déjà en avance avec son groupe de travail sur la Décennie au sein de la Commission française pour L'UNESCO.  Il regroupe des acteurs importants de la société civile du Ministère des Affaires Étrangères qui est responsable pour la France à l'UNESCO. 

Ces interactions doivent créer une synergie qui donnerait un réel dynamisme aux efforts pour relancer la Culture de la Paix à l'UNESCO.  

2) Élargir et multiplier les moyens d'échange pour que l'information donne le maximum de force aux actions du Mouvement.  Le rapport de 2005 indique d'ailleurs qu'il y a beaucoup d'activités, mais peu de médiatisation.  L'implication des médias doit être renforcée.   C'était aussi l'une des conclusions de la récente conférence des médias professionnels catholiques de l'organisation ‘’Signis’’ à Lyon.  

3) Le succès du Mouvement se mesure à travers la prise de conscience tant individuelle que collective, qui doit être considérée comme le moteur de l'Histoire, surtout dans les moments de grande transformation politique, sociale, bref, historique. Étant donnée l’importance de la prise de conscience, il est essentiel de privilégier les travaux éducatifs pour la Culture de la Paix et de la Non-Violence.  Citons par exemple le Salon des Initiatives de la Paix à Paris dont les 114 exposants ont mobilisé 10,000 visiteurs.

4) Une critique émanant des ONGs remarque que la société civile ne représente qu’une petite partie de la société en générale et est, à cause de cela, dans l’incapacité de mobiliser la force politique nécessaire pour la transformation vers la Culture de la Paix et la Non-Violence. 

La Culture de la Paix a besoin de démocratie participative qui est sa sève énergétique.  A cet égard, nous avons beaucoup à apprendre des expériences du Brésil où les commissions de gouvernement local pour la Culture de la Paix s'étendent.  Ces commissions qui regroupent ONGs et associations au sein des conseils et parlements locaux et régionaux, sont la conséquence de l’organisation et du travail du Comité Paulista - Cultura de Paz, établie en 2000 pendant l'année internationale pour l’UNESCO, de la ville de São Paulo et de l'association Palas Athéna. 5) Enfin, il faudra la fermeté politique qui permette les décisions et l'application de ces décisions face à la résistance du pouvoir.

En conclusion, le Mouvement Mondial pour une Culture de la Paix et de la Non-Violence continue à progresser, mais son potentiel, sa possibilité d'avoir des effets politiques avant la fin de la Décennie dépend de différents paramètres étroitement liés à l’énergie de ses acteurs,  Cet horizon demandera un renforcement des rapports et des interactions, l’élargissement et la transparence des échanges de l’information, la réussite d’une pédagogie éducative, un militantisme citoyen avec les institutions de démocratie participative, et finalement le courage politique d’agir malgré la résistance du pouvoir. Tous les acteurs du Mouvement doivent être encouragés à redoubler d’efforts pour atteindre ces objectifs dans la deuxième moitié de la Décennie.  

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